L’art et la manière

Si je constate ce que la pratique du yoga a pu m’apporter toutes ces dernières années, un merveilleux cadeau se révèle (parmi tant d’autres !) : la découverte et l’expérience d’un nouveau rapport à mon corps, non pas le corps pensé mais le corps éprouvé.
Ici, rien à conquérir mais tout à (re)découvrir, en changeant de regard.

Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir un regard neuf – Marcel Proust

La société, les conditions, les circonstances, les évènements… m’ont amené, pour prendre soin de moi-même et me protéger, à agir selon une image extérieure, celle de laquelle il fallait se rapprocher le plus possible, pour être reconnue, heureuse, aimée. J’ai appris de quelle façon je devais me comporter, ce qu’il était bon de ressentir et ce qu’il était préférable d’éviter, comme émotions, sensations, pensées… Tellement de vie à l’intérieur qu’il fallait repousser. Si le but était le bonheur, le chemin n’en avait pas toujours la saveur. Et ce qui m’animait profondément, je n’en avais aucune idée. Ou plutôt je pensais savoir… mais l’ensemble ressemblait plutôt à un mélange d’intuitions profondes mêlées, étouffées, de beaucoup de croyances, d’idées toutes faites sur les choses et la vie. J’en parle comme si c’était du passé, et pourtant… honnêtement, je me sens encore souvent ligotée. L’étau semble pourtant moins serré 😉 Alors, qu’est ce qui a changé ?

Pour commencer, le premier cours de yoga. La rencontre, intransigeante, avec mon corps… Et d’une manière complètement nouvelle pour moi à l’époque : dans un climat d’écoute et de profonde bienveillance. Si simple et si… inaccessible parfois, tant je voudrais que les choses soient différentes dans ma façon de me tenir, de me sentir.

Cette rencontre avec soi, par le corps et la manière de s’entreprendre, a ouvert la voie à une sorte de déconditionnement progressif, comme une plongée dans un autre univers. Non pas parce que j’y découvre une réalité différente – il s’agit bien d’être pleinement présent à ce qui se vit ici et maintenant (c’est bien là toute la subtilité) – mais parce que m’est proposé un véritable changement de paradigme dans la manière de me percevoir et d’agir… un changement qui ouvre sur de nouveaux possibles.

  • Changer de cap, se tourner vers l’intérieur, s’ouvrir à ce qui surgit des profondeurs, la référence n’est plus à rechercher à l’extérieur mais en moi : passage des références externes absolues à des références internes, forcément relatives.
  • Changer de stratégie, ne plus se conformer à ce qui est attendu mais s’ajuster à ce qui est ressenti, écouter mon corps, sa sagesse préalable…

Lors d’une séance où s’alternent et s’entremêlent « faire » et « non-faire », souffle et posture, le corps me guide et m’informe. Je l’invite à jouer le jeu, sans jamais le brusquer mais sans pour autant renoncer à la qualité. Ni trop, ni pas assez. J’écoute les signaux, ma perception s’affine. Je perçois plus subtilement les seuils de tolérance, à chaque fois différents. J’apprends à m’ajuster, à lâcher l’effort inutile, à faire bon ménage avec mes pensées, avec mes tensions et contractions du moment, ouvrant ainsi la voie à une posture stable et agréable (la position devient naturelle), à un espace disponible et ouvert dans la détente.

Ainsi, la conscience du ressenti, durant et après la posture me permet d’apprécier la relation à moi-même. Et c’est sûr, l’idée de performance, de perfection, la croyance qu’il faut souffrir pour bien faire, l’envie de plaire, etc… ne sont jamais loin. Alors je me donne un peu d’aisance à l’intérieur. J’accueille. Si je me vois à un moment croire une pensée, emprunter un rôle (« la bonne prof de yoga » par exemple 😉), si j’en « prends conscience », je n’en suis plus prisonnière. Je retrouve ma liberté, mon pouvoir… la détente.

Au-delà de ce que je fais en yoga (dont il ne s’agit absolument pas de nier le précieux), c’est la manière de faire qui se révèle essentielle, parce qu’elle m’ouvre les yeux sur une manière d’être… la vie, se manifestant, vibrant, instant après instant, m’informant de ce qui est valable et ajusté pour moi, de ce qui me donne de la joie. Je découvre que je suis vivante, de manière beaucoup plus subtile, sensible à ce qui surgit en moi et qu’ici-même, maintenant, se trouvent toutes les ressources nécessaires à mon épanouissement.

Qu’il est doux parfois d’être de ton avis,
Frère aîné, ô mon corps,
Qu’il est doux d’être fort
De ta force,
De te sentir feuille, tige, écorce
Et tout ce que tu peux devenir encore,

Toi, si près de l’esprit

Toi, si franc, si uni
Dans ta joie manifeste
D’être cet arbre de gestes
Qui, un instant, ralentit
Les allures célestes
Pour y placer la vie

 

Rainer-Maria Rilke (Vergers, Poèmes en langue française)

savoir être yoga

 

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