Sur les sentiers du yoga…

Le déferlement est tel qu’il n’est pas un quartier, un village, qui n’ait aujourd’hui son studio de yoga ou son professeur de yoga. Un foisonnement d’écoles, de fédérations, de propositions… à faire la tourner la tête des plus motivés qui, pour des raisons toutes aussi variées, ont l’élan de venir se poser sur un tapis pour pratiquer. Mais pratiquer quoi ? Et pourquoi ? 

Je me suis posé la question. Comment le yoga, enraciné dans la civilisation indienne et dont les origines remontent sans doute plusieurs millénaires avant notre ère, a-t-il bien pu attirer une française comme moi, grandie dans la culture judéo-chrétienne et (mais) éprise de liberté, chercheuse de sens, désireuse de se sentir bien dans son corps, d’être qui elle est et de l’exprimer joyeusement… avec ses peurs aussi en lien avec la sécurité, ses croyances, son élan de contribuer ?

Quelle drôle d’époque que la nôtre où l’homme, fort de sa puissance technologique, semblant maîtriser de plus en plus de phénomènes en lien avec la matière, se trouve bien dépourvu face à des évènements qui pour autant le dépassent. Ces crises extérieures, auxquelles il tente de faire face avec les moyens qui sont les siens, ne sont-ils pas le reflet de ses crises intérieures ?

Piégés que nous sommes dans les choses à faire qui s’enchaînent les unes après les autres, dans l’accumulation parfois frénétique des avoirs et des savoirs – qui, croit-on, conditionne à elle-seule notre bien-être – où sont donc passés la joie d’exister et de créer, l’enchantement et le plaisir de faire ensemble ? On ne s’est jamais autant échangé d’informations mais quelle est la qualité de cet échange ? Se rencontre-t-on vraiment ? Et pourtant… ce sentiment profond de connexion en soi, avec l’autre et avec toute chose, n’est-ce pas ce à quoi nous aspirons tous profondément ?

Durant des stages, retraites ou à l’occasion de lectures, j’ai souvent entendu plusieurs variantes de cette expression, qui prend la forme d’une invitation : « l’ouverture à la vie en soi est la clé de l’ouverture à la vie en l’autre, tous les autres, humains et autres qu’humains ». L’ouverture à la vie en soi. Au-delà du concept qu’on peut passer sa vie à interroger, comment pourrais-je en goûter la résonnance dans l’expérience ?

Le yoga, et notamment le hatha-yoga, est une voie parmi d’autres, une voie d’exploration, de déconditionnement, véritablement… où les yogi, en véritables aventuriers de la vie, vont se retrouver face à tous leurs automatismes ; une voie du juste milieu, tout aussi loin de la démission que du vouloir-faire aveugle ; une voie profondément ancré dans l’esprit de la non-violence. « Dans le comportement du yogi, tout est plasticité, souplesse, recherche de la ligne de moindre résistance […] L’idée de jeu, de négociation est toujours présente dans cette recherche d’équilibre entre le possible et l’accompli. La satisfaction totale qui accompagne l’acte ainsi dosé, maîtrisé, n’a aucune espèce d’équivalent dans la vie profane. Elle donne la sensation de la plénitude, sans avoir la petite joie frelatée de l’orgueil » (Eva Ruchpaul, Sources et variations).

Et ainsi, au détour d’un chemin, d’un « temps de rien », dans ce corps chargé d’informations, dans l’ordonnancement subtil d’une posture vécue dans sa parfaite justesse (qui est tellement loin de l’idée d’une quelconque performance), se redécouvre l’équilibre et la paix intérieure, cette sensation globale d’appartenance à la Vie. 

Ce sentiment intime de complétude ne nous est pas inconnu. Au-delà des différents personnages qui peuvent nous habiter, auxquels nous pouvons jouer ou nous identifier (le militant, le méditant, le perfectionniste, le sauveur, le boudeur, le timide…) n’avons pas déjà fait l’expérience au détour d’un chemin, d’un autre aspect, d’un autre espace, plus vaste en nous ? Lorsque l’on tombe en extase devant la beauté d’un coucher de soleil ou que l’on plonge son regard dans celui d’un nouveau-né ; « le temps s’arrête, l’espace se dilue. Nous ressentons que le silence, la paix et la liberté font partie intégrante de notre être. C’est toujours nous, mais on sait que cette partie de nous-même est plus vraie et qu’elle relie les autres aspects de notre vie. Quelque chose nous dit que « la vraie vie, c’est ça » » (David Ciussi, L’apprentissage de l’instant). 

Ce pressentiment, c’est ce qui m’a amené au yoga. Je l’ai vu, de façon plus ou moins consciente, comme un moyen de réveiller la Vie en moi. Et puis, il prenait en compte le corps, ce patrimoine humain commun, via le hatha-yoga, le souffle et la posture. Avec cette idée du corps, empreinte de confiance, qui semblait assez éloigné de ma culture natale ; et j’avais l’intuition qu’il pouvait se (re)découvrir ici une sagesse, un trésor de potentialité…

Le but du yoga est simple au fond : être mieux dans sa vie, en reconnaissant son identité première, en retrouvant le sens profond de son existence. « Cet art né en Inde, nous est légué comme un héritage pour l’humanité entière » nous dit Eva Ruchpaul. Art à la fois ancestral et évolutif, il est né de la soif de l’homme de mieux se connaître, de son désir de s’extraire de la souffrance existentielle, de son élan de s’accomplir.

Sa transmission fût orale pendant longtemps puis s’est reposée par la suite sur des textes. Cette transmission de maitre à disciple a créé en Inde de nombreuses ramifications qui sont autant d’écoles expérimentales. Ainsi, le yoga n’a cessé d’évoluer au cours des millénaires et s’adapte encore aujourd’hui aux besoins de l’humanité. C’est la manière d’être qui l’enracine dans une unicité. Être atttentif, à ce qui est, en cet instant. 

Dans cette observation ouverte et disponible à ce qui se présente (pensées, émotions, sensations et perceptions), le pratiquant de yoga découvre que les niveaux psychologiques et somatiques sont intimement reliés. Il découvre que le corps est un espace vivant, qu’il ne se réduit pas à une physiologie, qu’un corps plus vaste peut être perçu par celui dont la sensibilité se développe. Il prend conscience de plus en plus finement de tout ce qui l’habite et, par la qualité du souffle et de l’attention, parvient à rendre plus harmonieux, fluide et paisible ce « bain intérieur », libérant ainsi les blocages, déchargeant des fardeaux qu’il ne se savait parfois même pas porter. Il vit les indéniables bienfaits somatiques, détente nerveuse, oxygénation, vitalité, d’une pratique « bien tempérée », entre le trop et le pas assez.

Mais surtout il se redécouvre lui-même, conscient d’être conscient, dans une dimension qu’il avait cru perdue, Source, ce qui donne vie. Et il se donne la disponibilité de sentir cet espace-conscience en lui.

Le chemin de chacun est unique… Je vis dans ces retrouvailles à la fois une grande profondeur, un ancrage solide et beaucoup de légèreté. Il y a en même temps un enthousiasme immense à vivre, instant après instant, ce chemin d’évolution qui m’apprend à créer ma vie en conscience plutôt que de subir celle programmée par mon inconscient. Le rapport à l’autre se transforme. Il flotte dans l’air comme un goût de liberté.

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